Situé entre les contreforts de l'Himalaya et les plaines du Gange, le Mithila (aujourd'hui l'état du Bihar) a un passé des plus riches. Ce fut là que naquit le fondateur du Jaïnisme et que Bouddha eut la révélation. Ce serait aussi à Madhubani (littéralement : forêt de miel) que le Mahatma Gandhi aurait décidé de prêcher pour la première fois sa doctrine, grâce à laquelle il voulait libérer l’Inde de l’économie anglaise. Dans cet ancien royaume, ce sont les femmes qui peignent et qui transmettent leur savoir de mère en fille. Les peintures du Mithila sont l’une des formes d’art populaire les plus renommées de l’Inde.
On distingue trois styles précis correspondant à trois castes. Les brahmanes s'inspirent des textes sacrés et ont seules le droit d'utiliser les couleurs de leur choix. Les Kayasth (caste placée juste en dessous de celle des brahmanes) s'inspirent également des textes sacrés mais ne peuvent utiliser comme couleur que le noir et le rouge privilégiant ainsi le dessin à la peinture. Le style pictural des brahmanes et des Kayasth est connu sous le nom de Mithila painting.
Enfin le style des Dusadh, plus connues en Occident sous le nom d'intouchables, est le plus récent.
Chano Devi 1999 acrylique et bouse de vache sur papier 71x56 cm
Les notions de castes s’estompent et il est aujourd'hui fréquent de voir une intouchable s’exprimer dans le style pictural des brahmanes.
Entre 1972 et 78 Erika Moser, une anthropologue allemande, a visiter à plusieurs reprises cette région pour étudier et filmer l'artisanat et les rituels des Dusadhs. Moser a incité les femmes Dusadh a peindre également sur papier afin de générer des revenus complémentaires à leurs activités quotidiennes. Peu au fait de la signification des graphismes complexes utilisés par les Kayastha et les Brahmanes, les femmes Dusadhs ont commencé à s'inspirer de leurs propres traditions. Elles ont alors développés trois styles et techniques qui leur sont propres. Le premier fut initié par Chano Devi et s’inspire des tatouages. Ce style est depuis connu sous le nom de Godhana (Godna signifiant tatouage). Ces peintures, alors en grande partie composée de lignes, de cercles concentriques et emplis de motifs inspirés par la flore et la faune étaient réalisés à l’aide d’une plume de bambou et d'encre noir. Ce style a été adopté par un grand nombre de femmes Dusadh et a évolué au fil du temps pour inclure l'utilisation de gamme de couleurs végétales conçues à base de fleurs, de feuilles, d’écorces, de fruits... Les thèmes des peintures se sont également développés pour y inclure des scènes de leur vie quotidienne et de leur pratique rituelle. Les divinités propres à leur caste y côtoient les représentations d’esprits issus de croyance animiste.
Dans cette série d’œuvres sur papier réalisées en 1999, Chano Devi se singularise par une liberté d’expression unique. Délaissant un style codifié par une demande locale par trop commerciale, elle renoue avec cette liberté que j’avais pu entrevoir sur la photo d’un workshop réalisé en présence de Sonia Gandhi. Dans cette série, elle n’hésite pas à changer sans cesse de genre. De motifs abstraits réalisés à l’aide de simples pièces de tissus roulés en boule et utilisées comme tampons à des sujets figuratifs délimités par un principe de doubles lignes, de personnages réduits à des formes géométriques originelles à un bestiaire imaginaire onirique, chaque œuvre exprime un talent rare et singulier.